le cahier blanc
Aurélien Delsaux
Babel – juin 2003 toute la terre avait un seul langage et les mêmes mots. or, en partant du côté de l’orient, les hommes trouvèrent une plaine au pays de Chinéar, et ils s’y établirent. ils se dirent l’un à l’autre : « allons ! faisons des briques et...
salut à toi, sainte ambiguïté ! toi, le signe de l’apparition de la vie ! toi, preuve vivante et frémissante de la vie ! toi, qui lèves quotidiennement le voile de cette déesse ordinaire : la vie, oh ! notre vie toi, prêtresse des mystères très grands...
elle est là comme une offrande aux dieux un don de Dieu nue il est là pareillement dans le soleil – leurs regards innocents enfermés chacun par leur chair le même mystère qui va s’échapper la même lumière à boire la même présence qui s’en va là au-delà...
et tous les lieux de l’espace tous les espaces du temps ne sont pas encor rentables - il faut continuer toutes les lignes de bus et tous les marchés aux puces ne sont pas désinfectés - il faut continuer il faut continuer et tous les visages du monde (montagnes,...
la folie est une petite cabane pourrie, pas très éloignée de là. Elle est pleine de rats et de toiles d’araignée. il y a bien longtemps que plus personne ne s’y est réfugié. Aujourd’hui, les gens préfèrent l’hôpital. Les chambres y sont chauffées. sur...
Où que tu sois, creuse profond, En bas, c’est la source. Laisse les hommes noirs crier : « En bas, c’est toujours l’enfer. » Nietzsche, le Gai Savoir L’âme épaisse a sa géologie, bien entendu. Mais subit aussi – en apparence : à sa surface – les grands...
l’écrivain, le yucca. bien que l’un soit, la plupart du temps, un être humain, et l’autre un être végétal, ils ont bien des points communs. Le yucca est un mot d’une langue indigène de l’Autre Monde – le Nouveau. Certains affirment aujourd’hui avec précision...
la nappe . - le sang, c’est le pire. - avec le chocolat peut-être. - et le vin. - le vin, c’est inévitable. - à chaque fête, on y a droit. - alors que le sang. - le sang, c’est plus rare. - oui, c’est plus rare. - pour une fête. - c’est plus rare, mais....
serpents. mille et cent serpents dans mon coffre s’accumulent (vaille que vaille je roule sans retourner la tête) mille et mille et cent serpents se déroulent sifflent et se dressent (vaille que vaille je roule sans retourner la tête) bruits de caresses...
adolescentes . on les voit passer dans la vitesse et le nombre à l’ombre des grands platanes brûlés dardant de courts tee-shirts où leur poitrine étouffe sous des étoffes bleues gonflant leurs vierges fesses comme de bas poumons pour l’encens diabolique...
le repos . calme de la grande maison après le café. on n’entend plus rien que le vent séchant le linge blanc les enfants sont loin dans la vigne (et leur rire comme un ruisselet). tout est tranquille. on s’assoupit dans cette paix – sachant bien que tout...
l'entrevue . Elle se servit, dans l’assiette d’argent, et se régala. Dès son arrivée, il avait compris que les choses n’iraient pas comme elles devraient aller. Quand il était allé la chercher en voiture à la gare, et qu’ils avaient pris la route de la...
le pépé. après sa demeure, il n’y avait plus que bois, roche et neige – la route montait, étroite et droite, jusqu’au pied de la vraie montagne. dans son jardin, un ruisseau, où tourne toujours un petit moulin en dégringolant le pré filait au torrent...
Brangues . le soir où nous marchions vers Brangues dans la boucle du Rhône Ophélie me dit en sa langue : And now let me alone. c’est sur la tombe de Claudel que j’ai versé mes pleurs, aux mânes de Julien Sorel j’ai conté mes malheurs. à Brangues je ne...
causerie des folles. antique et charnel souvenir, je vois trois sorcières à plumes qui font causette : - Quel goût de cerise !..., dit l’une. - Vous voulez dire de fraise des bois !..., reprend la seconde. - De mûre sauvage !, rétorque la troisième. et,...
le présage j’étais à lire au soleil – le jour était doux, le jour était bon, bleu, clair. de petits bruits firent que mes yeux se levèrent hors du roman : deux lézards à trois pas de moi se battaient méchamment. il y eut un vainqueur. le silence revint....
la promenade heureuse . nous étions là, cela suffit, les amis et nous marchant aussi loin de la formation des grandes roches et des glaciers que de l’extinction des étoiles lointaines. Grégoire blaguait beaucoup Nelly chantonnait Gracias a la vida – et...
le roi Midas . qu’est-ce que c’est ce bruit de chien bâtard qui grelotte? c'est le roi Midas qui pleure qu’est-ce qu’il pleure le roi pour pleurer comme ça comme une bête comme un maudit? aucune larme pour Orphée qui lui apprit à lire les choses qui eut...
orage d’un jour de juin. il s’est mis tout à coup à faire sombre si sombre et tout a sombré dans la nuit c’était à n’en pas croire son cœur on eût dit que l’équilibre du monde était près de balancer et l’orage a passé (au loin encore un éclair tinte)...
le lecteur . il a 15 ans. soleil ou brumes on le voit qui va dans la forêt. là personne ne le voit plus. on dit qu’il fume. il est parti un livre à la main pourtant. ce n’est jamais le même: tragédie, poème, roman. il rentre au jour qui baisse. ses yeux...
là-bas les nuages . là-bas les nuages élastiques sous le vent et la lumière font des formes fantastiques le paysage d'hier dont le ciel était pur et l’horizon si bleu ne nous faisait voir du monde vieux que la claire infirmité: une morne immensité joie...
l’adieu des innocents. face à l’écrasante lumière est-il pas à espérer rien qu’à très bien clore nos paupières midi prendra notre jardin alors nous quitterons la terre ce ne sera l’heure de rien écrasante et très salutaire voici la lumière qui vient à...
la route qui monte . tu montes la route qui monte bordée par les arbres traversés de vent de lumière blanche c’est l'aube. gisent dans ton dos tes village, église nuit. tu marches sur des fruits qui éclatent délivrant le nom de leur arbre chêne, noisetier...
paysage du livre. sur les terres froides des vestiges nagent des visages de gisants on aimerait vaincre leur mort les réveiller car on se prend à les entendre désespérer neige noire sur nous les troubles et sous cette trombe malsaine on vient pour comprendre...
le combat de Jacob - avril 2003 cette nuit-là, il se leva, prit ses deux femmes, ses deux esclaves et ses onze enfants, et il passa le gué du Yabboq. il les prit et leur fit passer le torrent ; il fit passer aussi tout ce qui était à lui. Jacob resta...