le mulot qu'au matin
n'a pas pu éviter
la voiture qui dort
avec un corps dedans
à midi maintenant
les corbeaux le partagent
le cahier blanc
Aurélien Delsaux
le mulot qu'au matin
n'a pas pu éviter
la voiture qui dort
avec un corps dedans
à midi maintenant
les corbeaux le partagent
c’est ainsi / il ne viendra pas
le jour auquel on a rêvé
le matin dort dans de gris draps
le soleil ne s’est pas levé
crois-tu que quelqu’un se souvient
des jours où nous foulions la terre
un air médiéval me revient
qui chantait la douceur de l’air
j’aime le thé noir et brûlant
des grands pays mélancoliques
près du feu malade le vent
rêve une rouge flamme oblique
I.
la nouvelle nous parvient à midi
en salle des professeurs
et nous coupe comme le jour en deux
on se regarde, graves
on baisse les yeux
on ne dit plus rien
on se souvient
c'est une femme qui fut notre chef
- je n'aime pas les chefs
mais j'aimais bien cette femme
je me souviens
elle souriait toujours riait toujours
on pouvait ne pas être d'accord et le lui dire
elle entendait elle entendait toujours
elle continuerait à nous sourire
elle était vivante
II.
c'est l'après-midi
on est devant des ordinateurs
à bâtir la suite on parle anglais
avec des collègues hongrois croates tchèques italiens
- on pense à Corinne Martin
c'est le jour en sa fin il y a du bruit des rires
la photocopieuse continue de fonctionner
on va au musée la ville est éclairée
Berlioz se tait les élèves fument
- on pense à Corinne Martin
le lendemain au self on regarde
la neige qui ne tombe pas
il fait toujours aussi froid
le vieux pin offre fidèlement son tronc oblique
à qui regarde dans l'ennui par la fenêtre
- on pense à Corinne Martin
III.
à l'heure de l'enterrement
à Pont-Saint-Esprit
où des collègues nous représentent
je vais embrasser les secrétaires
qui l'aimèrent
regrettent son rire
qui pleurent
comme à Pont-Saint-Esprit
ici on organise pour lundi
un instant pour se taire tous ensemble
pleurer écrire un mot
profs chefs secrétaires agents femmes de ménage cuisiniers
se souvenir
pleurer
tous ensemble on cherche le mot
recueillement hommage en mémoire de
lundi 13h30
IV.
personne ne parvient à imaginer
cette femme morte
allongée immobile
avec toute cette pose fatigante usée
ce décorum d'absence forcée de décorum (de gestes, de fioritures, de choix, d'ornements, de tournures, de joliesse)
que la mort nous impose en vérité (je me place ici du côté des cadavres)
elle était vivante
V.
que la mort nous impose disais-je
jusqu'à ce que nous réveille
un peintre un poète ou dieu
l’immeuble ocre et moche est planté
dans les rues de la Tour du Pin
comme une aiguille bonne à rien
indiquant l’heure abandonnée
la nuit descend jusqu’à zéro
dans les rues de la Tour du Pin
ici vécut l’amour ancien
c’était un autre numéro
silence au passé qui défile
dans les rues de la Tour du Pin
je retrouve de vieux chemins
le trottoir est sale et tranquille
Arabes vieux sous les arcades
dans les rues de la Tour du Pin
jolies laideurs que j’aimais bien
quand bruinait ma désespérade
au fond de quoi faudra descendre
dans les rues de la Tour du Pin
novembre ô souvenirs bons chiens
mordant mon ombre couleur cendre
ô tendres crocs ma chair est prête
dans les rues de la Tour du Pin
sauf le peintre malade ancien
pas de bonne âme qui s’arrête
on meurt sans un regard des hommes
dans les rues de la Tour du Pin
la toile ignorée le dit bien
qui montre en croix le Fils de l’Homme
en bas le monument aux morts
dans les rues de la Tour du Pin
héros dont rien ne se souvient
je lis vos noms en lettres d’or
j’entends recommencer la guerre
dans les rues de la Tour du Pin
je suis un des héros qui vient
mon nom restera sur la terre
brume bleue toi qui m’as grisé
dans les rues de la Tour du Pin
est-ce pour trancher les vieux liens
tous les couteaux sont aiguisés
qu'est-ce qu'il y a dans l'eau ?
(sous le reflet des lumières de la ville
et des étoiles)
la nuit
des poissons
la boue
des cadavres d'amoureuses
de garçons angoissés
et des secrets qui vont vers la mer
se noyer mieux