le cahier blanc
Aurélien Delsaux
danse d’ombres pensais-je
que ça doit faire sur la neige
le vol brouillon à la cime des branches
du grand chêne noir où les corbeaux font leur nid
je ne suis pas d’ici
je passe et j’admire la plaine
et tout là-bas la dentelle des monts
je dis le temps qu’il fait compte ceux qui s’en vont
neige encor – printemps blanc
est-elle assez venue, la neige ?
les voitures s’échouant hors des routes
la glace sur le lac qui piège le plongeur
le printemps est promis
un grand ciel bleu nous y fait croire
et les oiseaux qui naissent dans les arbres
et l’ombre des corbeaux sur les terres sans blé
je n’y crois qu’à demi
à demi j’en doute l’espoir
n’est pas de ma saison je rêve au marbre
du vieux tronc : les soleils m’y feront ressembler
il a 15 ans. soleil ou brumes
on le voit qui va dans la forêt.
là personne ne le voit plus. on dit qu’il fume.
il est parti un livre à la main pourtant.
ce n’est jamais le même:
tragédie, poème, roman.
il rentre au jour qui baisse.
ses yeux brillent, revenant
de cette messe avec le monde
entre les mots, les arbres
la blancheur des marges et les ombres
seul, loin de lui.
là-bas les nuages élastiques
sous le vent et la lumière
font des formes fantastiques
le paysage d'hier
dont le ciel était pur
et l’horizon si bleu
ne nous faisait voir du monde vieux
que la claire infirmité:
une morne immensité
joie de la vive mesure
– la limite de ce mur de neige
cette opaque façade des brumes
la falaise où dans nos rêves
vient reposer un autre monde
où se lèvent des lumières
et plus noires, et plus blondes
la plaine a invité la brume
toutes les routes disparaissent
l'automne orange allume
sa lente mort sur la forêt lointaine
mon fils est devant je le pousse
il ne sait pas encor marcher
sur la colline grise
une pâle lumière glisse et pleure
en bas je lui montre les maisons
jaunes où les cheminées fument
il sait dire : je vois
on croirait de très vieux jouets qui brûlent
soudain l’enfant voulut marcher
je me suis adossé à l’arbre
voici son premier pas
loin de moi avant la chute et les larmes
j’ai cru des choses et des gens
que je ne crois plus désormais
il pleut – jaillit son rire
pourquoi ? je ne sais – peut-être le vent
je vois revivre mon enfance
et je sens mes cheveux blanchir
vieux regrets, joie réelle
– mon fils, que te bénisse l’eau du ciel
tu marches tu ris la nuit tombe
le brouillard vient noyer la plaine
l’arbre s’endort je rêve
d’une grande scène où jouer encore