le Mont Sinaï, (huile et sable) mai 2005
le cahier blanc
Aurélien Delsaux
le Mont Sinaï, (huile et sable) mai 2005
et tous les lieux de l’espace
tous les espaces du temps
ne sont pas encor rentables
- il faut continuer
toutes les lignes de bus
et tous les marchés aux puces
ne sont pas désinfectés
- il faut continuer
il faut continuer
et tous les visages du monde
(montagnes, termes, batailles)
ne sont pas désaffectés
- il faut continuer
il faut continuer il faut continuer
tous les naufrages ne sont pas encore accomplis
mais la cadence des désastres ne faiblit pas
soyez rassurés – c’est bien
- il faut continuer
il faut continuer il faut continuer il faut continuer
la folie est une petite cabane pourrie, pas très éloignée de là. Elle est pleine de rats et de toiles d’araignée.
il y a bien longtemps que plus personne ne s’y est réfugié. Aujourd’hui, les gens préfèrent l’hôpital. Les chambres y sont chauffées.
sur les planches de bois pourries par la pluie, luit le soleil. La cabane ne craint pas les flammes : elle est trop humide, moisie. Et pourtant aujourd’hui,
de loin, vide,
on dirait un tabernacle
le buisson ardent.
l'arbre (huile sur toile, 45x60), avril 2005
c'est l'arbre
il se nourrit de ténèbres
il va vers le feu
ses fruits ne lui appartiennent pas
sa croissance est invisible
Où que tu sois, creuse profond,
En bas, c’est la source.
Laisse les hommes noirs crier :
« En bas, c’est toujours l’enfer. »
Nietzsche, le Gai Savoir
L’âme épaisse a sa géologie, bien entendu.
Mais subit aussi – en apparence : à sa surface – les grands travaux et les intempéries.
Avant toute régulière dépression anticyclonique, surgit un gros tractopelle. Qui creuse et creuse et creuse. Bâtit l’abîme.
Survient alors, loin des latitudes tempérées, la mousson. Cette joyeuse catastrophe, si nécessaire pour la culture du riz et pour l’abondance de sa moisson, comblera possiblement le trou béant creusé pour rien.
Plénitude de la pluie ! Te voici propriétaire d’un lac intime, âme abîmée ! Récolte miraculeuse : le ciel est dans ton champ !
Et le temps vient, revient, et tout s’assèche, et recommence. Revient le tractopelle pour creuser plus profondément encore. Puis revient la mousson – et voici ton lac encor plus large et plus abyssal !
Régulièrement, tu viens te pencher sur ton domaine de plus en plus vaste – pour contempler le vide ou la vie, admirer la perte ou la merveille. Deux fois l’an.
Diastole et systole de la mécanique et de la météo, du gouffre et de l’espace conquis, de la blessure vide et de la joie pleine.
L’âme, aride et boueuse, se creuse infiniment dans la vie. Elle se creusera longtemps, ton âme, ami, dans la douleur et l’extase, et jusqu’à Dieu, et jusqu’à personne,
et tu seras toi, toujours plus près, là,
selon les temps,
entre Dieu et personne.