tu t'appelles Mahmoud B.
je n'inscris pas ton patronyme
histoire que les flics encore debout de Ben Ali
nous fichent la paix
nous avions vingt ans c'était à Paris
tu as été logé quelques mois chez Jeanne
quelques mois chez moi
avenue d'Eylau
rue Cardinal Lemoine
c'était un peu secret
je crois que tu n'avais pas les bons papiers
vous vous étiez rencontrés
dans une manif pro-palestinienne
puis tu as dormi dans une voiture
puis tu as disparu
on se partageait 12 mètres carrés
chaque semaine il fallait nettoyer l'ordinateur
des logiciels espions venus de Tunis
ton père avait fait de la prison
tu résistais depuis la France
en étudiant pour retourner au pays
tout changer
chez Jeanne tu buvais du vin
et tu nous lisais le Coran
on s'endormait
chez moi tu ne buvais plus d'alcool
dans le frigo j'avais mon étage pour le jambon le pâté le saucisson
tu avais ton étage pour la harissa
quand tu cuisinais tu faisais tout frire
et ça puait la friture pendant trois jours
quand j'ai eu la grippe
tu m'as soigné
tu t'occupais de tout
cinq fois par jour tes ablutions inondaient la petite salle d'eau
cinq fois par jour tu priais devant mon petit coin de prières
devant ma croix haïtienne
le matin où les Américains envahirent l'Irak
nous prenions le petit déjeuner
nous écoutions la radio
tu t'es mis à pleurer
on a prié ensemble côte à côte
on a manifesté ensemble
on s'est engueulé
le voile la laïcité l'Iran Israël la Palestine tout ça
j'aimais beaucoup ton rire
tu as appelé une fois de chez Jeanne
elle devait me dire quelque chose
elle était gênée tu voulais la forcer
qu'elle dise ce qu'elle t'avait dit
elle était gênée et te frappait en riant
et quand on s'est mariés
on t'a invité c'était un mail
on n'a jamais eu de réponse
je ne sais pas où tu es
ce que tu deviens
si tu crois toujours en un véritable
communisme d'Islam
c'était de 2001 à 2003
tu nous as dit
le jour où Ben Ali tombe
Jeanne tu es ministre de la Culture
Aurélien tu es ministre de l'Education Nationale
on riait
mais Ben Ali ne tomberait jamais
et Ben Ali est tombé
on buvait du thé au jasmin
vive Mahmoud B.