à Z. H.
il était une fois
un clown
qui avait des idées
il s’en servait pour faire rire
pour ce que le rire est le propre
des bêtes qui pensent
mais le baron bientôt déclara
que puisque c’était comme ça
on ne l’inviterait plus
aux goûters d’anniversaire des enfants
ni aux noces
ni aux enterrements (mais on n’avait jusque-là jamais songé à l’y inviter - et on le regretta, on le regretta amèrement)
un singe, dit le Baron
fera bien mieux l’affaire
la colère du Baron n’était pas tant
que le clown eût des idées
mais que ces idées ne fussent pas
les bonnes
c’est-à-dire
les siennes (je veux dire celles du Baron - car le clown avait bel et bien ses propres idées, cachées plus que sous sa perruque, plus que sous son nez rouge: incrustées dans sa peau)
alors
le clown
mourut
de faim
à son enterrement
le Baron secrètement rigola
rigola rigola rigola
rigola tant et si bien dedans-lui
qu’il en creva
c’est la fin direz-vous
si tout le monde meurt
de ne plus rire ou de trop rigoler
ou de ne plus penser ou de penser rien
non ce n’est jamais la fin
car le clown ressuscite
et se remet aussitôt au travail
et les héritiers du Baron
baronnaux et baronnesses
d’acheter des singes
beaucoup de singes
et de les lâcher dans la nature
quelle histoire me direz-vous
quelle histoire se disait-on
et on en rit
on en rit tant
qu’on pensa:
d’où sortent-ils ces baronneaux
ces baronesses qui les a mis là
ces empêcheurs de rire
ces empêcheuses de penser
alors on décida à l’hilarité générale
de les placer dans les cages des singes
et les singes
à force de rire
se mirent à penser
et à force de penser
repartirent plus libres qu’ils n’étaient arrivés
devant ce spectacle de bêtes redevenues des hommes
baronnesses et barronnaux comprirent
qu’ils s’étaient trompés
et tous se mirent à rire
on oublia le clown
il était déjà loin
il était arrivé dans une baronnie
où l’on ne riait guère
il était une fois
l’histoire d’un clown
qui avait des idées