I.
la nouvelle nous parvient à midi
en salle des professeurs
et nous coupe comme le jour en deux
on se regarde, graves
on baisse les yeux
on ne dit plus rien
on se souvient
c'est une femme qui fut notre chef
- je n'aime pas les chefs
mais j'aimais bien cette femme
je me souviens
elle souriait toujours riait toujours
on pouvait ne pas être d'accord et le lui dire
elle entendait elle entendait toujours
elle continuerait à nous sourire
elle était vivante
II.
c'est l'après-midi
on est devant des ordinateurs
à bâtir la suite on parle anglais
avec des collègues hongrois croates tchèques italiens
- on pense à Corinne Martin
c'est le jour en sa fin il y a du bruit des rires
la photocopieuse continue de fonctionner
on va au musée la ville est éclairée
Berlioz se tait les élèves fument
- on pense à Corinne Martin
le lendemain au self on regarde
la neige qui ne tombe pas
il fait toujours aussi froid
le vieux pin offre fidèlement son tronc oblique
à qui regarde dans l'ennui par la fenêtre
- on pense à Corinne Martin
III.
à l'heure de l'enterrement
à Pont-Saint-Esprit
où des collègues nous représentent
je vais embrasser les secrétaires
qui l'aimèrent
regrettent son rire
qui pleurent
comme à Pont-Saint-Esprit
ici on organise pour lundi
un instant pour se taire tous ensemble
pleurer écrire un mot
profs chefs secrétaires agents femmes de ménage cuisiniers
se souvenir
pleurer
tous ensemble on cherche le mot
recueillement hommage en mémoire de
lundi 13h30
IV.
personne ne parvient à imaginer
cette femme morte
allongée immobile
avec toute cette pose fatigante usée
ce décorum d'absence forcée de décorum (de gestes, de fioritures, de choix, d'ornements, de tournures, de joliesse)
que la mort nous impose en vérité (je me place ici du côté des cadavres)
elle était vivante
V.
que la mort nous impose disais-je
jusqu'à ce que nous réveille
un peintre un poète ou dieu