Un prodige, la chose est claire;
Mais qui fait toujours mon tourment,
Car il y eut dans cette affaire
Beaucoup de louche, assurément.
PHILEMON
En lui concédant le rivage,
L'empereur est-il à blâmer?
Un héraut vint le proclamer
Sonnant la trompe à son passage.
Ils se sont d'abord installés
Là-bas, sur la dune prochaine;
Tentes, huttes, puis, dans la plaine,
Bientôt s'édifie un palais.
BAUCIS
Le jour, les valets se bousculent,
Pelles, pioches volent en vain;
La nuit, des flammèches circulent,
La digue est là le lendemain.
Le sang des victimes ruisselle,
Des plaintes sonnent dans la nuit,
Vers la mer la flamme étincelle,
Au jour un canal est construit.
L'homme est sans dieu; il voudrait prendre
Notre cabane, notre bois.
C'est un bon voisin, à l'entendre;
Pourtant, il faut subir ses lois.
PHILEMON
Mais il nous offre une fortune,
Un bien sur les terrains nouveaux.
BAUCIS
Non ! reste fidèle à ta dune,
Ne crois pas au pays des eaux.
PHILEMON
Allons à la chapelle proche
Voir du soleil l'ultime adieu.
Prions, faisons tinter la cloche
Et fions-nous à l'ancien Dieu.
Goethe, Faust II, acte V, En plein air; traduction de Jean Malaplate, éditions Flammarion, 1984.
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